Commerce de détail

Sears Canada au bord du gouffre

Ça va de mal en pis pour Sears qui craint désormais de ne pas avoir les liquidités nécessaires pour survivre encore un an. Le détaillant a eu beau multiplier les initiatives pour se « réinventer » ces dernières années, chaque trimestre se conclut par une perte nette depuis 2014. Des conseillers financiers et juridiques viennent d’être embauchés pour évaluer les options, dont la restructuration et la vente. Explications.

L’étau se resserre sur Sears qui n’a pas réussi à emprunter autant que voulu pour poursuivre ses activités. Résultat, la vente pure et simple de l’entreprise est maintenant envisagée. Le détaillant pourrait aussi se placer à l’abri de ses créanciers, ce qui permettrait de mettre fin à un certain nombre de baux.

Sears a rappelé hier que le contexte est « très difficile », qu’il subit des pertes d’exploitation « récurrentes » et que ses flux de trésorerie liés aux activités d’exploitation sont négatifs depuis cinq ans. Ses résultats pour les mois de février, mars et avril sont particulièrement médiocres.

Les efforts de « transformation » et de « réinvention » de la marque entrepris pour « regagner la confiance des consommateurs » portent quand même leurs fruits : les ventes des magasins comparables ont bondi de presque 3 % au dernier trimestre.

Mais les liquidités manquent pour poursuivre le déploiement de cette nouvelle stratégie d’affaires.

Quelques magasins ontariens ont adopté un nouveau concept prometteur (baptisé 2.0) dans la dernière année, mais il faudra plusieurs années avant que tous les points de vente l’adoptent. « C’est trop peu, trop tard. Ils ont dormi au gaz trop longtemps. Ç’a été la même chose avec Eaton », lance Jean-François Grenier, directeur principal, solutions de données, au Groupe Altus, qui affirme depuis cinq ans que Sears va disparaître.

Ce que Sears a annoncé hier : 

Pour répondre à ses besoins financiers, Sears pensait pouvoir emprunter 175 millions, mais seulement 109 millions ont pu l’être.

La trésorerie et les flux de trésorerie ne seront « probablement pas suffisants » pour acquitter les obligations des 12 prochains mois.

La société cherche des solutions « financières et des stratégies » pour poursuivre ses activités, « préserver et consolider sa marque, et poursuivre sa réinvention ».

Une restructuration financière ou une vente font partie des scénarios envisagés.

Un comité spécial du conseil d’administration a été formé pour aider le conseil d’administration. BMO Marchés des capitaux et le cabinet d’avocats Osler, Hoskin & Harcourt ont été embauchés.

Aucun étonnement

« Je m’attendais à ce que l’annonce soit encore pire. Je pensais qu’ils annonceraient qu’ils se placent à l’abri de leurs créanciers », a confié à La Presse Craig Patterson, directeur de la recherche appliquée à la School of Retailing de l’Université de l’Alberta.

Selon l’universitaire, il faudrait rien de moins qu’un « miracle » pour que Sears évite de se rendre là. Comme tous les autres experts interrogés, il n’est nullement surpris par l’annonce d’hier et ne voit pas qui pourrait vouloir acquérir les actifs du détaillant, puisque les autres acteurs de l’industrie s’affairent surtout à réduire le nombre de leurs magasins en raison de la popularité des ventes en ligne.

« Oui, ils ont des chances de s’en sortir, mais plus ça va, et avec l’annonce d’hier, plus c’est difficile. Les chances sont très minces », analyse Jean Rickli, conseiller principal chez J.C. Williams, un cabinet-conseil dans le secteur du détail. Si l’entreprise ne « tire pas un trait comme Target » l’a fait, il s’attend à des « coupes vraiment drastiques ».

Professeure à HEC Montréal et experte du secteur du détail, JoAnne Labrecque rappelle qu’hormis La Baie, Sears est le seul grand magasin du pays ayant réussi à survivre jusqu’en 2017. Ce qui, en soit, est un exploit.

Cela dit, la débandade actuelle du détaillant va pratiquement de soi, explique l’universitaire. « C’est la suite de l’hécatombe de tous les grands magasins. Ils ont été en croissance au XXe siècle et ont connu leur apogée dans les années 60-70. Mais après, le consommateur s’est mis à magasiner différemment, surtout après les récessions de 1982 et 1990. On est passés d’une consommation hédoniste à utilitaire. C’est le début de la décroissance du concept de grand magasin. »

« Même si les dernières ventes comparables étaient meilleures, une fois que vous êtes dans un trou, il est vraiment difficile d’en sortir, surtout quand le marché ne croit pas que vos stratégies vont fonctionner », conclut David Soberman, professeur de marketing à la Rotman School of Management de l’Université de Toronto.

À la Bourse de Toronto, le titre de Sears a terminé la séance d’hier à 87 ¢, en baisse de 23,7 %.

Un autre détaillant américain tombe au combat

Aux États-Unis, l’hécatombe dans la vente de détail se poursuit. Hier, l’important détaillant de vêtements pour enfants Gymboree (1300 points de vente, 3 enseignes) s’est placé à l’abri de ses créanciers (« Chapter 11 », dans le jargon américain). L’entreprise prévoit fermer 375 magasins dans le cadre de sa restructuration.

Cette annonce fait suite à celles, plus tôt cette année de : 

rue21 (prévoit fermer le tiers de ses 1200 magasins de mode pour ados)

Payless ShoeSource (veut fermer 400 de ses 4400 magasins dans le monde)

Gordmans Stores (le détaillant centenaire a fermé ses 106 magasins)

RadioShack (en mars, le détaillant a fait appel au « Chapter 11 » pour la deuxième fois en deux ans)

hhgregg (le détaillant d’électroménagers, de meubles et d’électronique a fermé ses 132 magasins)

Wet Seal (deux ans après un premier « Chapter 11 », les 171 boutiques de vêtements pour ados ont été fermées)

The Limited (tous les magasins ont été fermés)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.